L'oeil

 

Mon œil droit

Me joue des tours

Des tours de magie noire

Il me fait mal

Le nerf optique s'étire

Et se contracte

En tension névralgique

Et douleur obsédante

Ma vision se trouble

Et baisse à vue d'œil

Œil de vieil aigle borgne

Solitaire et déplumé...

 

Ibara

Abandon de poste

 

La fée, qui était missionnée pour surveiller et protéger ma naissance laissant augurer une destinée exceptionnelle, était en grève ce jour là.

Toute mon existence fut contrariée par cet abandon de poste.

Je ne lui en veux pas.

Bien au contraire.

Lorsque je parviendrai au terme de cette malheureuse vie ici bas et que je serai enfin dans l'au-delà, je la remercierai chaleureusement de m'avoir évité le fardeau d'être adulé et vénéré par mes semblables...

 

Ibara

Le graffiteur

 

Il arpentait les rues de Paris la nuit

Ecrivant à la craie sur les murs sa haine du monde

Un soir

Qu'il pleuvait à torrent

Désemparé de ne pouvoir graffiter

Il se précipita tête la première dans la Seine

Mettant à jamais un terme à ses détestations...

 

Ibara

Le solitaire

 

Il voulait leur parler

Mais ils lui jetèrent des pierres

Il était solitaire

Comme un lion du désert

Au petit matin

On a retrouvé son corps

En partie dévoré par des rats

Sur une plage

Proche de la ville d'Almeria...

 

Ibara

Tout cru dans le feu ardent

 

Elle a tué son mari.

Deux balles dans la tête.

Pendant qu'il dormait.

Elle n'en pouvait plus disait-elle.

Des années qu'elle souffrait.

Il était si violent.

Si méchant.

C'était un monstre.

Les trois enfants, Maude, Kevin et Jessica, ont aidé leur mère a se débarrasser du corps.

Ils disaient qu'il était lourd, sentait fort l'alcool et les marais salants.

Après ce froid constat, ils ont trainé le cadavre jusqu'à la chaufferie.

Là, Kevin, muni d'une scie, Maude d'un sécateur et Jessica d'un marteau, ont entrepris de découper leur père, de le hacher menu et de le jeter tout cru dans le feu ardent.

Pendant ce temps, dans la cuisine, tout en préparant le diner, maman priait Dieu de bien vouloir lui pardonner.

Les flics ont classé l'affaire.

Influencés sans doute par des associations compatissantes qui ont remué ciel et terre pour que l'épouse martyrisée soit libérée de toutes culpabilités.

Quelque temps plus tard, au stand de tir d'une fête foraine, la veuve sanctifiée rencontra un prêtre défroqué dont elle s'amouracha.

Celui-ci découvrit très vite que la dame en question n'était autre qu'une Calamity Jane froide et calculatrice déguisée en une Sainte Nitouche plaintive et malheureuse.

L'ex ecclésiastique paya très cher son outrecuidante lucidité.

En effet, il se retrouva très vite, comme son prédécesseur, avec deux balles dans la tête, haché menu et jeté tout cru dans le feu ardent...

 

Ibara

Pitié!

 

Ar...

Arrét...

Arrétez...

Arrétez de...

Arrétez de fai...

Arrétez de faire...

Arrétez de faire des...

Arrétez de faire des gos...

Arrétez de faire des gosses!...

 

Ibara

Madame Lou

 

Marc et Vanessa ont choisi madame Lou comme nourrice pour leur fils Thibault qui a six mois.

Tous les matins, avant de se rendre à leur travail, ils déposent le petit à six heures trente et le récupèrent à dix-neuf heures trente.

Il est quinze heures ce jeudi 28 janvier 2016.

Pendant que les autres enfants qu'elle garde font la sieste, madame Lou prépare le biberon de Thibault.

Le bébé, qui vient d'être changé, gazouille et gigote sur la table à langer.

Alors qu'elle s'active, elle entend un bruit sec et brutal derrière elle.

Elle se retourne et constate, effrayée, que Thibault est tombé brusquement de la table sur le sol sans émettre le moindre cri.

Elle se précipite.

Il ne bouge plus.

Elle le secoue.

En vain.

Il reste inerte.

Elle hurle, tremble et s'affole.

On sonne à la porte.

Une angoisse immense l'envahit.

On sonne de nouveau avec insistance.

Elle pleure, crie et se réveille en sursaut.

Elle s'aperçoit qu'elle vient de faire un horrible cauchemar.

Soulagée malgré tout, elle se lève, enfile sa robe de chambre et va ouvrir en tremblant.

Ce sont les parents de Thibault:

"Bonjour madame Lou, bébé a bien dormi. Comme tous les jeudis, nous viendrons le récupérer un peu plus tard ce soir"...

 

Ibara

 

Qui es-tu?

 

"Qui es-tu?"

"Je suis ton ennemi"

"Moi, ton ennemi!"

"Oui"

"Et pourquoi moi?"

"Parce que je suis toi, et que sans moi tu n'es rien qu'un passe partout pathétique"

"Alors tu ne m'aimes pas"

"Si je t'aime.

Je t'aime comme une étoile filante aime filer dans un ciel noir constellé d'étoiles solitaires"...

 

Ibara

Persuasion

 

La force du Diable

C'est de faire croire qu'il n'existe pas

La force de la théorie du complot

C'est de faire croire qu'elle n'existe pas

Ma force

C'est de faire croire que j'existe

Alors que je n'existe pas...

 

Ibara

"Mona Lisa" a disparu

 

Août 1911

Musée du Louvre

Stupéfaction générale

"Mona Lisa" a disparu

Le cadre est vide

Cataclysme artistique

Un homme est soupçonné

C'est Louis

Un ami de Guillaume le poète

Il aurait volé le célèbre tableau

Ainsi que trois statuettes ibériques

Dont deux auraient été vendues à Pablo le peintre

Par l'intermédiaire de Guillaume

La police enquête

Craignant de se faire attraper

Guillaume et Pablo se liquéfient de trouille

Ils veulent faire disparaitre les statuettes en les jetant dans la Seine

Mais ils changent d'avis

Ils décident de les restituer anonymement

Guillaume est dénoncé

Accusé de recel

Il se retrouve en taule

Pablo est arrêté pour complicité

Quand les flics débarquent chez lui pour l'emmener et l'interroger

Il n'arrive pas à s'habiller

Il tremble

Il pleure

Il panique

Pendant sa garde à vue

Pour se disculper

Il charge à mort son ami Guillaume

Il finit par être libéré

Quant à Guillaume

Une pétition et une bonne défense convaincront les juges de le faire sortir de prison

Ainsi

Le grand Pablo

Au pouvoir de création colossal

Dont les yeux défiaient le soleil

Etait aussi une balance et un pétochard

 

Quelques mois plus tard

La Joconde

Sera retrouvée à Florence

Un peintre en bâtiment

L'avait volée pour la rendre à l'Italie...

 

Ibara

Une dent contre Andy

 

New York

Juin 1968

Elle veut le voir

Il n'est pas encore arrivé

Elle ressort et l'attend dehors devant l'entrée de l'immeuble

Malgré la chaleur elle porte un manteau d'hiver

Elle tient

Bien serré contre sa hanche droite

Un sac rempli de paperasse

Il arrive enfin

Ils prennent l'ascenseur jusqu'au sixième étage

Ils entrent directement dans le bureau

Le téléphone sonne

A peine a t-il terminé la communication

Qu'un coup de feu retentit derrière lui

Puis un deuxième

Andy Warhol s'écroule

Elle s'approche et tire une troisième fois

C'est Valérie Solanas

L'ultra féministe

Elle a une dent contre Andy

Une dent de lait spermatique...

 

Ibara

Bowie, le retour

 

Chez monsieur et madame Eliphas

Il y avait une comtoise

Une comtoise en bois noir

Qui marquait les heures sombres du désespoir

Un soir

Monsieur et madame Eliphas dinaient

On sonna à la porte

Monsieur Eliphas alla ouvrir

Le lendemain

Quand les flics arrivèrent

Après avoir été alertés par la femme de ménage

Ils découvrirent un tableau effrayant

Monsieur et madame Eliphas gisaient sur le sol

Leur corps étaient en partie déchiquetés

La pièce était saccagée

Comme après le passage d'une tornade

Seule

La comtoise en bois noir était intacte

Elle était entrouverte

A l'intérieur une carte de visite

Sur laquelle était écrit

"Avec le bon souvenir de David Bowie"...

 

Ibara

La mort de Baudelaire

 

Crénom!

Crénom!

Murmure Baudelaire sur son lit de mort

Crénom!

Crénom!

Sa tête a failli

Son corps l'a trahi

L'ennui l'a meurtri

Et Jeanne qui est partie

Seule

Sa mère est là

Près du lit

Qui lui tient la main

Jusqu'au bout de la nuit...

 

Ibara

La veuve

 

Elle habitait

Rue de la pomme rouge

Une petite maison

Derrière l'église

De la fenêtre de sa chambre

Elle voyait le cimetière

Et la tombe de son mari

Chaque jour

A quinze heures trente

Elle allait s'y recueillir

Elle restait là une demie heure

Puis

Elle rentrait

S'asseyait devant la cheminée

Et tricotait jusqu'à dix-huit heures trente

Ensuite

Elle se rendait dans sa cuisine pour dîner

Un bol de soupe

Une tranche de jambon

Et une pomme

Lui suffisaient

A dix-neuf heures

Elle retournait s'asseoir

Allumait la radio

Et l'écoutait

Jusqu'à vingt et une heures

Puis

Elle allait se coucher

Lisait jusqu'à vingt-deux heures

Immanquablement elle s'assoupissait

La lumière de la lampe de chevet restait allumée

 

Une nuit

Alors qu'elle dormait

Un homme est entré

Il l'a égorgée

Et lui a volé tout ce qu'il pouvait

Il est reparti

Comme il était venu

Tranquillement

Il avait juste

Sur le haut de son pantalon

Et sur la manche droite de son veston

Quelques taches suspectes...

 

Ibara